Par Marc-Antoine Godefroy, avocat. Michel Ledoux & Associés

La mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) apparaît comme une contrainte lourde et malvenue à l’heure où les pouvoirs publics ne laissent pas de proclamer la nécessité d’une simplification du droit du travail. La loi confie à l’employeur le rôle principal dans la mise en œuvre de ce dispositif qui bouleverse la gestion des risques professionnels dans l’entreprise.

 

Le dispositif est désormais connu?: les salariés exposés aux dix facteurs de pénibilité acquièrent des points qu’ils pourront utiliser pour bénéficier d’une action de formation, réduire leur temps de travail, valider des trimestres de cotisations. L’objectif principal du compte pénibilité consiste à développer les politiques de prévention des risques. Comme l’a souligné Michel de Virville, « [la réforme] aura réussi si plus aucun salarié ne reçoit de points, ce qui signifierait que les mesures de prévention ont été suffisantes1 ».
Cependant, le fonctionnement du C3P pèse lourdement sur l’activité quotidienne de l’entreprise malgré les aménagements introduits par la loi du 17 août 2015 et ses décrets d’application du 30 décembre 20152.


L’employeur, acteur essentiel du C3P
La loi confère à l’employeur un rôle essentiel?: il est chargé d’évaluer l’exposition des salariés aux facteurs de pénibilité, de déclarer les résultats de cette évaluation et d’assurer le financement du dispositif.
- L’évaluation de l’exposition aux facteurs de risques s’effectue au regard du document unique d’évaluation des risques qu’il est impératif de mettre en place et d’actualiser3. L’employeur doit déterminer, pour chaque salarié, si les seuils réglementaires définis par le décret du 9 octobre 20144 sont dépassés. 
Afin d’alléger cette tâche écrasante, l’entreprise peut se référer « aux postes, métiers ou situations de travail » identifiés comme pénibles par un accord de branche étendu ou, en l’absence d’un tel accord, par un « référentiel » de branche homologué5
Cette possibilité faciliterait le travail des entreprises si les partenaires sociaux parvenaient à conclure des accords au sein des quelque 700 branches référencées. Il est permis d’être prudent à cet égard dans la mesure où, au 31 mars 2015, seuls seize accords de branche relatifs à la prévention de la pénibilité étaient entrés en vigueur6.
Par ailleurs, un risque juridique indéniable émane, d’une part, des salariés, lesquels disposent d’une procédure particulière de contestation7, d’autre part, des contrôles des caisses chargés de vérifier les déclarations8. De la même manière, les représentants du personnel pourraient utiliser les moyens mis à leur disposition pour remettre en cause l’appréciation des risques par l’entreprise9.
- L’élaboration de fiches individuelles de prévention a été abandonnée au profit d’une déclaration dématérialisée auprès des Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat)10. L’application de cette obligation à l’égard des salariés dont la durée du contrat est inférieure à l’année suscite un certain nombre d’interrogations qu’il conviendra de clarifier avant toute saisie des données. 
- Un fonds destiné au financement des droits acquis par les salariés a été créé. Il est alimenté par une cotisation de base due par l’ensemble des entreprises et une cotisation additionnelle due par les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à un facteur de pénibilité. La loi du 17 août 2015 précise que la cotisation de base ne sera pas due au titre des années 2015 et 201611. Aucune exonération ne peut être appliquée à ces cotisations12.


Les incidences du C3P sur l’obligation de sécurité
Il suffit de rappeler que la survenance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est susceptible d’accroître le taux de cotisations de l’entreprise, voire de justifier l’engagement d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, pour illustrer la nécessité d’un véritable engagement de l’employeur dans la gestion des risques. 
Les relevés d’exposition transmis chaque année aux salariés et aux caisses vont pouvoir être utilisés dans un cadre contentieux13
Les salariés et les caisses pourront désormais se prévaloir de la déclaration effectuée par l’employeur relative à l’exposition aux risques pour démontrer le caractère professionnel d’une affection. Il sera alors malaisé pour l’employeur de contredire ses propres déclarations. 
De la même manière, dans le cadre d’une action en reconnaissance d’une faute inexcusable, le salarié pourrait mettre en avant les déclarations de l’employeur pour démontrer que ce dernier avait connaissance du risque. 
Le législateur a cherché à obvier cette difficulté en précisant que le seul fait pour l’employeur d’avoir déclaré l’exposition d’un travailleur aux facteurs de pénibilité ne saurait constituer une présomption de manquement à son obligation de sécurité de résultat14
Le C3P a par ailleurs un effet incitatif fort en faveur de la prévention des risques. En effet, la loi prévoit que l’appréciation de l’exposition des salariés aux facteurs de pénibilité s’effectue « après application des mesures de protection collective et individuelle ». Les actions de prévention peuvent donc permettre de corriger la mesure de l’exposition aux risques et d’écarter certains salariés qui, si ces actions n’avaient pas été menées, auraient dépassé les seuils d’exposition. Les salariés ainsi écartés ne feront l’objet d’aucune déclaration de l’employeur et leur rémunération ne sera pas incluse dans l’assiette de calcul de la cotisation additionnelle.
Le C3P peut ainsi apparaître comme le nouveau moteur d’une politique globale de prévention des risques professionnels qui permette de sauvegarder la santé et la sécurité des salariés au travail tout en garantissant à l’employeur une rationalisation des coûts liés à la gestion du risque AT-MP.

 

 

1 Semaine sociale Lamy, n°?1635.
2 Loi n°?2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, art. 28 et s.?; Déc. n° 2015-1885 du 30 décembre 2015?; Déc. n°?2015-1888 du 30 décembre 2015. 
3 La responsabilité pénale de l’employeur peut être engagée  lorsqu’un accident du travail survient alors que le DUER n’était pas régulièrement mis à jour (Cass. Crim., 25 octobre 2011, n°?10-82133).
4 Déc. n°?2014-1159 du 9 octobre 2014, art. 1er.
5 C. trav., art. L. 4161-2.
6 J.-D. Combrexelle, La négociation collective, le travail et l’emploi, Rapport au Premier ministre, septembre 2015, p. 29.
7 C. trav., art. L. 4162-14 et s.?; C. trav., art. R. 4162-26 et s.
8 C. trav., art. L. 4162-12 ; C. trav., art. D. 4162-25
9 Dans un arrêt rendu le 25 novembre 2015, le Cour de cassation a jugé que la demande d’expertise du CHSCT sur l’exposition des salariés aux facteurs de risques professionnels n’était pas légitime (Cass. Soc., 25 novembre 2015, n°14-11865).
10 C. trav., art. L. 4161-1, I.
11 Loi n°?2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social  et à l’emploi, art. 31, II.
12 Instr. Min., DGT-DSS n°?1 du 13 mars 2015, Fiche technique n°?7.
13 C. trav., art. L. 4162-11.
14 C. trav., art. L. 4161-3.

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