Frank Potard (Cercle Magellan) : « Le total reward permet de motiver les talents avec un budget d’augmentation proche de zéro »
Décideurs. Quels sont les challenges de la fonction comp & ben ?
Frank Potard. Les directeurs comp & ben doivent construire des solutions pour attirer et motiver les talents avec des budgets d’augmentation proches de zéro. L’inflation étant au point mort, il faut être inventif pour retenir les bons profils. Cette mission est d’autant plus complexe avec la cohabitation de différentes générations qui n’ont ni les mêmes attentes, ni les mêmes besoins. La génération Y exige un feedback sur sa performance au quotidien, sans attendre les très solennels entretiens annuels, sollicite la hiérarchie pour être informée et investie dans la stratégie. Quant aux babyboomers, ils se focalisent davantage sur leurs parcours individuels et leur besoin constant de sécurité. Comment concilier cette diversité dans la direction d’une politique de rémunération unique ? Jusqu’où aller dans l’individualisation ? Ce sont ce type de questions qui rythment le quotidien des comp & ben.
Décideurs. Qu’en est-il des pistes pour y répondre ?
F. P. Il n y a pas de réponse unique et autant de solutions qu’il y a de sociétés et de pays. Alors qu’une filiale française propose des formules pour concilier vie personnelle et vie professionnelle, la solution n’est pas transposable à la filiale chinoise, où les salariés sont encore loin de ces préoccupations. Au regard d’une telle diversité, appliquer une seule politique pour tous n’est plus envisageable. Si on se concentre sur les pratiques occidentales, la tendance est au « total reward ». Télétravail, opportunités de développement individuel, flexibilité… Les entreprises créent des packages qui s’adaptent aux besoins des salariés et pallient les effets d’une inflation nulle sur les augmentations.
Décideurs. Identifiez-vous des best practices internationales susceptibles d’inspirer les diecteurs comp & ben français ?
F. P. La veille des bonnes pratiques est naturelle pour le métier comp & ben, où le réseau est une vraie force. En revanche la best copy n’existe pas. L’important est le best fit. Par exemple, chez Schlumberger, les salariés mobiles changent de postes tous les deux-trois ans, ont une retraite internationale par capitalisation… Impossible de transposer une telle politique partout. En France, pour suivre les réglementations récentes qui pénalisent les stock-options en faveur des actions gratuites, les entreprises utilisent de plus en plus ce type de long term incentives. Malgré cela, certains employeurs continuent d’offrir des stock options aux salariés dès l’embauche pour ne pas être en décalage avec leurs concurrents étrangers. Le réflexe est toujours d’aligner les pratiques au business, surtout si la conquête des talents se joue sur le terrain international.
Décideurs. La loi Macron favorise volontairement les TPE/PME dans sa réforme de l’actionnariat salarié. Ce choix est-il pertinent pour favoriser l’épargne ?
F. P. Heureusement qu’Emmanuel Macron est là pour faire bouger les lignes. Les dispositions de sa réforme vont dans le bon sens mais je doute qu’elles soient suffisantes pour remporter le succès escompté. D’abord, parce qu’une entreprise désireuse de mettre en place un plan de participation ou d’intéressement doit déjà dégager des bénéfices assez importants pour pouvoir en redistribuer une partie à ses salariés. La majorité des TPE françaises ne bénéficient pas d’une telle visibilité. La réforme prévoit également la possibilité d’un forfait social diminué à 16 %, voire 8%, pour les sommes placées sur un Perco. Les salariés préféreront la disponibilité d’un PEE, dont les placements sont bloqués sur une durée de cinq ans. Accepter qu’une somme d’argent soit indisponible jusqu’à sa retraite exige une maturité des salariés, qui ne pourra exister que s’ils sont sensibilisés à la défaillance des systèmes de retraite obligatoire. Aucun gouvernement ne s’est confronté à la question. Qui doit alerter les salariés ? L’entreprise et l’État ont une responsabilité pour avertir la population sur l’importance de se constituer une retraite. Au Royaume-Uni par exemple, les salariés peuvent « sacrifier » une partie de leur salaire pour la placer sur un fonds de pension. La formule est incitative car les montants ne sont pas taxés. En France, les sommes placées sur un Perco sont des sommes qui ont déjà été soumises à cotisations sociales et à impôt et qui le seront à nouveau lorsqu’elles seront reversées sous forme de rente ! C’est la double peine. Je travaille actuellement avec le Cercle Magellan sur la rédaction d’un livre blanc qui recensera ces dispositifs incitatifs. Espérons qu’il soit un outil d’inspiration pour les politiques publiques.
Propos recueillis par Alexandra Cauchard
BIO EXPRESS : Mathématicien de formation, Frank Potard est un addict de la mobilité. Il commence sa carrière chez Schlumberger où il occupe huit postes en quinze ans. En 1986, il endosse la délicate mission d’harmoniser l’ensemble des politiques de rémunération entre deux filiales du groupe et devient ainsi le premier directeur comp & ben en France. En 1996, il rejoint Alstom pour créer la fonction C&B et se fait ensuite débaucher par Axa où il restera directeur de la fonction comp & ben pendant dix ans. Investi au sein du Cercle et de l’Institut Magellan, il crée aux côtés de Yves Girouard le premier MBA Spécialisé Comp & Ben en 2006. Pionnier du métier, Frank Potard est aujourd’hui consultant en comp & ben pour de nombreuses firmes internationales.