Docteur et entrepreneur, Philippe Pouletty, inscrit les innovations de rupture dans son viseur. Le dirigeant de Truffle Capital expose ce qu’il appelle "l’innovation radicale" dans le domaine de la santé et comment l’accompagner au succès.
De quel constat a émergé Truffle Capital ?
Les biotech et medtech coûtent très cher à développer et acheminer jusqu’au marché. En 2011, installé depuis treize ans en Californie, où j’étais un entrepreneur dans le domaine de la médecine, je voyais les difficultés auxquelles de belles innovations se heurtaient. Mes associés et moi-même avons créé Truffle Capital pour continuer à créer des entreprises, mais avec des moyens financiers importants. Avec la puissance de feu du capital-risque, nous sommes en mesure de nous consacrer au développement de produits, surtout pendant les premières années de structuration de lentreprise.
Selon quelles logiques créez-vous des entreprises ?
Nous créons des entreprises de deux manières. Soit, nous sélectionnons les inventions les plus prometteuses parmi les cinq-cents à sept-cents demandes de brevet aux États-Unis ou en Europe. Les universités en déposent énormément. Elles représentent un vrai gisement d’innovation radicale. Dès lors que l’innovation transforme le standard de soins, le marché devient d’autant plus facile à atteindre. Les agences sont davantage prêtes à vous soutenir, à négocier des prix plus élevés avec des payeurs. Avec les inventeurs, nous préparons cette approche en aval jusqu’à la commercialisation. Ou bien nous identifions un besoin et développons nos propres dispositifs médicaux (DM) pour y remédier.
"Dès lors que l’innovation transforme le standard de soins, le marché devient d’autant plus facile à atteindre"
Dans votre deuxième approche, pouvez-vous nous citer un besoin en particulier ?
L’obésité. Une plaie, avec des conséquences sous-estimées par le système de santé. Nous nous sommes penchés sur la concurrence, les modalités d’accès au marché… L’arrivée des médicaments ne résout pas tous les problèmes. Sans négliger l‘inquiétude grandissante autour de leurs effets secondaires. Aucun produit ne permet de traiter seul un sujet aussi colossal.
Le DM offre des avantages sécuritaires, d’observance, de moindres effets secondaires et de coûts. Ce sont des points d’attention, dès la phase de développement pré-clinique. Sur cette verticale, nous avons fondé deux medtech : BariaTek et Caranx. La première correspond à un DM qui imite le résultat d’une chirurgie bariatrique, puisque le volume de l’estomac et l’absorption de nourriture sont restreints. Comme il s’agit d’un DM implantable, l’effet reste réversible. Le deuxième, un robot d’assistance chirurgical avec de l’IA embarquée, facilite les chirurgies cardiaques et bariatriques. Un gastroentérologue peut désormais réduire le volume de l’estomac au moyen d’une suture réalisée en vingt minutes. Elle, aussi, est réversible.
Dans sa sélection, Truffle Capital cherche "l’innovation radicale". À quoi correspond-elle ?
À la lecture de dossiers innovants, il nous vient naturellement à l’esprit de premières intuitions d’innovation majeures. Puis, nous demandons leurs avis à des médecins, des ingénieurs, des agents de brevets. L’avis des experts constitue un bon index d’innovation. Paradoxalement, si 95% des experts affirment que l’idée ne marchera jamais, l’innovation a de fortes chances d’être majeure. Après évaluation de la surface de l’innovation, ainsi que la qualité des inventeurs, nous décidons de créer une nouvelle entreprise, ou d’en renforcer une existante.
"Paradoxalement, si 95% des experts affirment que l’idée ne marchera jamais, l’innovation a de fortes chances d’être majeure"
Pour nous, l’innovation radicale correspond à une invention qui, non seulement fait évoluer le standard de soins, mais aussi au nom de laquelle se réclameront des brevets « très puissants ». À savoir, des brevets rédigés de manière à empêcher des entreprises plus larges de développer des inventions similaires. Faute de quoi, l’entreprise innovante peut être pionnière, mais pas leader.
Quelle place pour la propriété intellectuelle dans ce choix ?
Quelle que soit l’innovation, il faut garder en ligne de mire la négociation de la licence exclusive avec les universités, ou encore les taux de redevance, les droits mondiaux… Autant de jalons importants pour éviter toute épée de Damoclès. Contrairement à ce que certains pensent, la seule liberté d’exploitation ne suffit pas. Il faut déposer et obtenir les brevets afin de créer un champ de mines autour des projets et d’assurer la continuité de la liberté d’exploitation.
Un conseil pour les entrepreneurs qui tâtonnent ?
Dans le domaine de l’innovation, "the sky is the limit", comme j’ai l’habitude de le dire. Il vaut mieux atteindre 60% d’un objectif qui semble fou et mégalomaniaque, que 100% d’un objectif médiocre. Il y a autant de difficultés à développer un projet peu innovant qu’un projet qui l’est radicalement. Poursuivre un projet radicalement innovant constitue un moindre risque.
D’une part, une innovation radicale détient une position très forte en matière de propriété intellectuelle. D’autre part, sous réserve que la R&D arrive à son but, les KOL ["key opinion leaders", ndlr], cliniciens, agences seront émerveillés. Ce qui facilite l’accès au marché, et renforce la possibilité de construire une entreprise à forte valeur.
Propos receuillis par Alexandra Bui