Décideurs. Pouvez-vous nous présenter Abivax?
Philippe Pouletty. Abivax est une société de biotechnologie spécialisée dans le développement de médicaments innovants pour le traitement de maladies virales, inflammatoires et les cancers. Nous avons développé plusieurs plateformes technologiques dont la première concerne la modulation des ARN messagers qui a donné naissance à la molécule ABX464. Cette dernière a produit des résultats impressionnants dans le traitement de la rectocolite hémorragique. Cette avancée nous a permis de démarrer un essai de phase 2B/3 contre la Covid-19. La deuxième plateforme technologique concerne l’ABX196 dont un essai clinique a débuté aux États-Unis afin de déterminer son effet chez les malades atteints d’un cancer du foie.
Le gouvernement vient de lancer un plan d’action pour la relocalisation des industries de santé en France. Qu’en pensez-vous ?
Dans toute crise, tout gouvernement se doit de dire qu’il faut « renverser la table » et changer de paysage. En matière de produits de santé, de dispositifs médicaux et de biotech, nous ne pouvons pas dire que la France soit extrêmement présente ni même leader. Depuis trente ans, l’industrie pharmaceutique française perd des parts de marché. Et le premier facteur de ce déclin est la résultante d’un tissu industriel qui, au travers des entreprises de biotech, n’a pas été suffisamment renouvelé contrairement à ce qui se passe aux États-Unis. L’écosystème américain repose sur des groupes pharmaceutiques, une industrie de biotech et un marché boursier très puissants qui nourrissent le système avec de nombreux médicaments fortement innovants. En Europe, ce n’est globalement pas le cas. Ainsi, la France, en matière de santé, est très dépendante des entreprises étrangères. Mais de là à dire que du jour au lendemain, avec une enveloppe de plusieurs millions d’euros nous allons totalement changer la donne, c’est illusoire. La diversification est utile mais elle ne doit pas forcément passer par une relocalisation totale en France. Si nous voulons à la fois bénéficier largement de nouveaux médicaments et garder des dépenses de santé raisonnables, il faut que le prix de fabrication soit maîtrisé. Ce qu’une relocalisation intégrale ne pourrait permettre. Nous ne devons pas tomber dans un système de protectionnisme national où tout se fait en France. Nous devons le faire par le biais d’incitations positives à l’image de mesures qui aident à faire des biotech françaises des leaders mondiaux. La première clé de l’indépendance, c’est l’innovation fondée sur une recherche scientifique de haut niveau et des entreprises de biotech ambitieuses et bien financées.
Vous faites partie des six projets collaboratifs de recherche et de développement de solution contre la Covid-19 retenus par le gouvernement. Quelle est la portée de cette sélection ?
Quand cette crise a éclaté, au sein d’Abivax, nous nous sommes posé la question, de notre contribution de médecins et de citoyens. Abivax possède une molécule unique au monde, l’ABX464. Cette molécule agit, à la fois, comme un anti-inflammatoire puissant agissant de façon efficace sur les différentes cytokines impliquées lors de l’« orage cytokinique » de Covid, et comme antiviral - aussi efficace in vitro sur la réplication virale. Nous nous sommes dit avec notre propre conseil scientifique qu’il y avait un très bon rationnel clinique à évaluer l’ABX464 sur cette maladie. Dans ce contexte, nous avons tout d’abord proposé au conseil scientifique Reacting, qui conseille le gouvernement sur le sujet, puis au ministère de la Santé, à Bpifrance, au Commissariat Général à l’investissement et à l’ANSM le projet d’essai clinique baptisé « miR-AGE ». Après une étude de notre projet, le gouvernement a décidé de nous octroyer, lors de son plan d’action de relocalisation des industries de santé, une enveloppe de 36 millions d’euros, représentant près de 45 % du montant total attribué aux six projets.
"L’essai clinique international, miR-AGE, devrait nous permettre d’établir l’efficacité clinique dans le Covid-19, si elle existe"
La molécule ABX464 est sous le feu des projecteurs. Quels sont ses effets ?
Pour en expliquer les effets attendus, il faut d’abord comprendre les complications liées au Covid-19. Cette maladie entraîne une détresse respiratoire aigüe résultant notamment d’une hyper inflammation systémique et pulmonaire. Cette réaction est due à une hyper sécrétion de plusieurs cytokines qui augmentent la réaction inflammatoire. Dans le cadre de l’infection, pour des raisons inconnues, chez certains patients, il y a un emballement de ce phénomène. Classiquement utile et protecteur s’il est modéré et transitoire, il a pour effet, avec cette maladie, d’endommager la muqueuse pulmonaire l’empêchant de remplir son rôle. Nous avons donc pensé à l’ABX464 car la molécule possède trois caractéristiques principales. Tout d’abord, c’est un puissant anti-inflammatoire bien toléré qui agit sur de multiples cytokines, notamment efficace lors de la rectocolite hémorragique sévère. Son mécanisme d’action nous a laissé penser qu’il pourrait freiner la réplication du virus SARS-CoV-2. Au sein d’un laboratoire lyonnais, nous avons montré qu’ABX464 avait un effet antiviral aussi puissant que le Remdesivir et qu’il stimulait également la réparation tissulaire.
Il ressort de toutes ces observations qu’ABX464 est, aujourd’hui, la seule molécule qui combine simultanément ces trois effets. Cependant, se pose la question cruciale de sonefficacité dans une fenêtre de tir courte chez des malades atteints de Covid-19. Donc, ne soyons pas trop optimistes. L’essai clinique international, miR-AGE, devrait nous permettre d’établir l’efficacité clinique dans la Covid-19, si elle existe. La priorité d’Abivax reste le développement de l’ABX464 dans les maladies inflammatoires chroniques, rectocolite hémorragique, maladie de Crohn, polyarthrite rhumatoïde notamment.
Pouvez-vous nous présenter l’essai miR-AGE ?
« miR-AGE » est un essai randomisé rigoureux combinant une démarche scientifique, statistique et médicale. L’objectif est de connaître l’effet de l’ABX464 sur des malades à hauts risques, âgés ou ayant un facteur de risque, et traités précocement. C’est un point essentiel de différenciation que permet la voie orale du médicament, donc facilement utilisable en ambulatoire. Un traitement précoce maximise en effet les chances d’efficacité du médicament.
Concrètement comment se déroule l’essai clinique ?
L’étude qui a déjà débuté, sera effectuée sur 1 034 patients, soit un nombre suffisant pour tirer des conclusions solides sur l’efficacité et la tolérance du médicament. Elle sera conduite dans 80 centres en France, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, au Royaume-Unis et au Brésil. L’inclusion de centres est planifiée au Mexique, Pérou et Chili. Le CHU de Nice est notre « principal investigator », où a été recruté le premier patient. Beaucoup d’autres centres participeront afin de recruter rapidement, en fonction de l’incidence de la pandémie, les 1 034 malades. Selon le protocole, les patients seront traités durant une période de trente jours, et suivis pendant trois mois. Les critères d’efficacité évalués reposent notamment sur la réduction du nombre de malades qui ont besoin d’une ventilation assistée ou d’oxygène, mais aussi sur le nombre de patients hospitalisés, les paramètres biologiques et radiologiques et les séquelles pulmonaires constatés.
Les premiers résultats sont prévus pour quand ?
Tout dépendra des fluctuations et des évolutions prochaines de la pandémie. L’objectif pour Abivax est d’obtenir des résultats probants d’ici à la fin de l’année. Pour y arriver, nous avons impliqué le Brésil et le Mexique, car l’Amérique du Sud est l’un des endroits au monde ou la pandémie est la plus active. Il est important de rappeler qu’en aucun cas, nous ne faisons preuve d’un optimisme béat quant à l’efficacité de la molécule dans le cadre de cette maladie. Nous nous contentons de réaliser une étude pour ensuite tirer des conclusions sérieuses sur la tolérance et l’efficacité.
Propos recueillis par Alexandre Lauret