Décideurs. Vous avez été nommé à la tête de la filiale Roche Pharma France le 1er mai 2018. Quels étaient votre feuille de route et vos premiers chantiers ?
Jean-François Brochard. Dans un contexte de transformation de la filiale – et plus largement du groupe Roche – commencé en 2016, réengager l’entreprise a naturellement été le premier chantier à mener. Ancrer le changement dans la réalité d’un écosystème de santé en mutation est un facteur essentiel de mobilisation des collaborateurs autour des orientations stratégiques portées par notre nouvelle organisation. Pour cela, la constitution de la nouvelle équipe de leadership de Roche Pharma France a été une première étape, en veillant à maintenir la complémentarité des profils et à introduire plus de parité au sein du comité exécutif. Puis, parce que nous avons la chance de disposer d’un pipeline riche et diversifié et que nous verrons d’ici quelques années notre portefeuille de produits renouvelé dans sa quasi-totalité, il a fallu garantir les ressources et les conditions nécessaires à la réussite de nos lancements en veillant particulièrement aux questions d’accès au marché pour les patients français et à leurs implications en termes de financement pour la collectivité.
Leader en biotechnologies, en particulier en oncologie, quels sont vos chantiers prioritaires pour 2020 ?
Pour être leader, il ne suffit pas de vendre le plus grand nombre de boîtes de médicaments ou de réaliser le plus important chiffre d’affaires du secteur dans un domaine particulier. Chez Roche, notre vision du leadership repose sur trois piliers complémentaires : l’excellence scientifique, les conditions d’accès à nos médicaments en France et la valeur réelle apportée par nos solutions aux patients. Historiquement, Roche a toujours proposé des produits qui ont véritablement révolutionné la vie des patients et la prise en charge, notamment, de certains cancers et maladies hématologiques. Ces médicaments ont permis de modifier radicalement les trajectoires de vie des patients concernés.
Pour 2020, il s’agira donc de maintenir notre leadership en oncologie, notamment dans le traitement des cancers du sein et du poumon. Nous nous préparons pour cela au lancement de solutions qui nous permettront de dépasser certaines frontières pour des patients qui n’ont, pour l’heure, pas ou peu d’options thérapeutiques efficaces pour combattre la maladie. Après le lancement d’un nouveau traitement contre la sclérose en plaques en mars 2019, nous profiterons également de 2020 pour renforcer notre présence dans les neurosciences et les maladies rares telles que l’hémophilie ou l’amyotrophie spinale qui, si elles touchent peu de patients, ont des effets dévastateurs sur leur qualité de vie. Il s’agira enfin de poursuivre nos efforts pour faire de la médecine personnalisée une réalité dans notre pays.
La médecine personnalisée est justement au centre des attentions. Est-ce une révolution ?
En effet ! Pour illustrer cela, je dirais que faire de la médecine personnalisée c’est passer du « prêt-à-porter » – le même traitement pour un groupe de patients – au « sur-mesure », voire à de la haute couture, avec des traitements adaptés à chaque individu. L’évolution de la science et des technologies, comme la génomique par exemple, nous a permis de découvrir qu’il pouvait exister autant de types de cancers différents que de patients. La médecine personnalisée offre ainsi la promesse d’un choix de traitements plus éclairé pour les professionnels de santé et davantage de certitude que le médicament fonctionne pour le patient. La santé personnalisée offre des possibilités extraordinaires qui sont aussi en faveur de la « soutenabilité » de notre système de santé puisque tout l’enjeu est de pouvoir prescrire au bon moment, le traitement le plus adapté, au juste prix, au bon patient.
"Notre vision du leadership repose sur trois piliers : l’excellence scientifique, les conditions d’accès aux médicaments et la valeur réelle apportée aux patients "
Quel est l’état du marché français en matière de santé personnalisée ?
Le marché français se développe peu à peu avec une maturité qui se situe entre l’enfance et l’adolescence. La France est très attachée à l’équité des chances et au principe d’égalité d’accès aux soins, mais, en pratique, il existe une différence de traitement en fonction des zones géographiques. Si un certain nombre de centres hospitaliers en France ont déjà mis en œuvre la médecine personnalisée, force est de constater que l’accès à cette pratique n’est pas encore homogène et qu’il devrait monter en puissance dans les années à venir.
Quelles sont vos initiatives dans ce secteur ?
Roche, par le biais de sa filiale, propose, en collaboration avec les hôpitaux, des outils de dernière génération d’identification de la signature génomique de certaines tumeurs. À partir de prélèvements effectués sur des patients souffrant de cancer, il est possible désormais d’analyser en un temps rapide − une dizaine de jours − les altérations génomiques propres à la tumeur et de renvoyer in fine un rapport qui explique les altérations au médecin traitant, qui lui donnera des pistes quant au traitement à prodiguer.
Par ailleurs, depuis quelques années, nous avons construit avec un certain nombre de centres hospitaliers en France, une infrastructure unique et opérationnelle de collecte de données, duplicable et flexible, qui permet d’accroître les connaissances quant à l’utilisation des traitements contre le cancer du sein ou du poumon. Parmi les nombreux usages possibles de ces données de vie, le programme appelé « PRM » permet d’optimiser la prise en charge des patients par les professionnels de santé, et d’adapter le financement des médicaments sur leur valeur réelle, une véritable opportunité pour, là encore, financer du « sur-mesure ».
Quel est l’état du financement des médicaments en France ?
En analysant de près le budget de la Sécurité sociale, nous constatons que l’enveloppe de dépenses accordée aux médicaments s’est resserrée durant ces dix dernières années. Contrairement aux idées reçues, le médicament n’est donc pas responsable du déficit de la Sécurité sociale ! Nous avons au contraire deux impératifs parfois contradictoires à concilier dans un système de santé en pleine mutation : contribuer à la maîtrise des dépenses de santé tout en garantissant aux patients l’accès aux innovations thérapeutiques. L’arrivée des biosimilaires ou de certaines aides au financement permettent de subventionner en partie les innovations. Cela doit aussi passer par des mesures visant à soutenir l’attractivité économique et la dynamique de recherche et développement en France. Il est temps d’entreprendre des réformes structurelles pour adapter notre écosystème de santé aux enjeux de la médecine de demain, en particulier la médecine personnalisée. Cela fait partie des recommandations que nous portons auprès des autorités sanitaires de manière à ce que le financement de médicament soit pérenne.
" Contrairement aux idées reçues, le médicament n’est pas responsable du déficit de la Sécurité sociale "
Quelles sont vos priorités actuelles en R&D en France ?
Nous sommes aujourd’hui le premier investisseur en R&D en santé dans le monde avec près de 10 milliards d’euros investis par an, soit environ 20 % de notre chiffre d’affaires. Nous utilisons de nombreux outils d’intelligence artificielle et d’exploitation de données à large échelle afin d’accélérer le parcours de recherche et de développement de nos innovations pour en simuler, notamment, l’efficacité. Notre raison d’être est de maintenir des investissements importants dans des domaines où le besoin médical reste très fort, à l’instar des maladies rares et graves en hématologie, oncologie, et neurosciences. L’idée est d’apporter des solutions totalement pionnières en explorant des solutions innovantes là où il y a encore peu ou pas d’option thérapeutique satisfaisante. L’agence américaine Food and Drug Administration (FDA) nous conforte dans notre posture en ayant désigné, depuis 2013, vingt-cinq de nos molécules comme des innovations de rupture, soit le plus grand nombre de traitements reconnus pour leur caractère révolutionnaire, traitant des maladies aux besoins médicaux non satisfaits.
Propos recueillis par Alexandre Lauret