Décideurs. Depuis le 8 janvier 2018, quel est votre rôle et quelles sont vos priorités dans la stratégie nationale de santé ?
Jérôme Salomon. Au sein du ministère, le rôle de la direction générale de la santé (DGS) est d’assurer la sécurité sanitaire sept jours sur sept, avec le Centre opérationnel de réception et de régulation des urgences sanitaires et sociales (Corruss) et de développer les pratiques de promotion de la santé et de prévention qu’il s’agisse de risques infectieux, de maladies chroniques, de facteurs de protection ou de risque liés aux habitudes ou aux environnements de vie, etc.
En pratique, cela nous amène, d’une part à proposer des objectifs et des priorités en matière de politique de santé publique, d’autre part, à fixer le cadre législatif et réglementaire dans nos domaines de compétences, enfin, à élaborer et mettre en œuvre les plans de santé publique.
Par ailleurs, mon rôle a été aussi de défendre les droits des personnes malades et des usagers, et d’encourager leur participation à la politique de santé et à son fonctionnement.
La DGS contribue par ailleurs à définir la position française lors de l’élaboration des textes ou l’examen des questions de santé ou de sécurité sanitaire au sein des instances européennes et internationales, comme l’OMS.
Concernant la Stratégie nationale de santé (SNS), mes priorités s’appliquent avant tout à la promotion de la santé, à la prévention ainsi qu’au développement de la recherche et de l’innovation en santé publique.
Prévention : quels sont les grands chantiers et priorités du gouvernement ?
Pour mettre en œuvre les priorités de prévention de la SNS, nous avons élaboré, pour la première fois en France, un plan national de santé publique (PNSP) qui mobilise l’ensemble des ministères. Ce plan « Priorité - Prévention », qui couvre l’ensemble des âges de la vie et tous les sujets de santé, met la priorité sur les déterminants de santé selon une approche « santé dans toutes les politiques ». Ce plan, piloté par la DGS, est actualisé chaque année dans le cadre du comité interministériel pour la santé, présidé par le Premier ministre.
"Nous avons élaboré, pour la première fois en France, un plan national de santé publique (PNSP) qui mobilise l’ensemble des ministères"
Dans ce cadre, nous poursuivons notamment notre action en faveur de la nutrition avec, d’une part, la sortie récente du Plan national nutrition santé 4 (PNNS4) et ses mesures phares (Nutriscore, nouveaux repères de consommation, etc.) et, d’autre part, la sortie de la Stratégie nationale sport-santé, copilotée avec la direction des sports. Elle inclut notamment les enjeux en matière d’activité physique adaptée et la création des maisons sport-santé.
D’autres priorités concernent l’éducation pour la santé, à travers le déploiement du service sanitaire des étudiants en santé dont les débuts sont un succès. Là encore, il s’agit d’une coopération interministérielle remarquable qui associe notamment l’enseignement supérieur, l’éducation nationale et la santé.
La prévention à travers les parcours de vie constitue aussi un axe prioritaire pour nous. Je pense en particulier aux mille premiers jours, au parcours 0-6 ans ou à la prévention de la dépendance.
Enfin, comme vous le savez, nous menons une politique de prévention particulièrement efficace en matière de réduction des addictions. En deux ans, le nombre de fumeurs a reculé de 1,6 million de personnes.
Il faut aussi souligner que la prévention, face aux menaces et risques environnementaux − canicule, pollutions, produits chimiques et pesticides… −, est un sujet qui prend de l’ampleur. Cela se traduit par la sortie d’une nouvelle stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, en partenariat avec le ministère de la Transition écologique et solidaire, et dans l’élaboration d’un futur plan « Mon environnement, Ma santé » pour 2020.
Comment, concrètement, comptez-vous passer du tout curatif au préventif et d’une approche médicale à sociétale de la santé ?
Il ne s’agit pas de passer du tout curatif au tout préventif, mais de considérer que la prévention est bien la première démarche à avoir en santé pour rester justement en bonne santé tout au long de sa vie.
Tant au niveau des professionnels de la santé qu’au niveau de la population, cette approche entraîne, de fait, des conséquences en matière de financement du système sanitaire dans son ensemble, mais aussi au niveau des professionnels et acteurs du secteur. Ce dernier point est l’un des sujets du chantier « financement » de la stratégie de transformation du système de soins.
Les dépenses consacrées à la prévention donnent des résultats positifs pour la santé des populations et permettent en outre de faire des économies en matière de dépenses.
Ce changement de paradigme s’opère actuellement aussi à tous les niveaux des départements ministériels, qui chacun à leur niveau agissent sur les déterminants socio-environnementaux de la santé. La formation des étudiants évolue également dans le bon sens.
La mise en place du service sanitaire est une opportunité pour élargir l’approche curative traditionnelle aux enjeux de promotion de la santé et de prévention, favoriser l’éducation par les pairs et faire des futurs professionnels, des acteurs majeurs de la prévention.
"Il ne s’agit pas de passer du tout curatif au tout préventif, mais de considérer que la prévention est bien la première démarche à avoir en santé"
Face à la problématique des déserts médicaux, des revendications salariales des professionnels de santé et de médecins généralistes sursollicités en zones urbaines : quelle place pour la prévention ?
La prévention est déjà dans le quotidien des médecins et des différents professionnels. Celle-ci est majoritairement de nature médicale : vaccination, dépistage des cancers, dépistage des troubles visuels et auditifs, bon usage des médicaments, etc. Elle fait, comme vous le savez, l’objet d’une rémunération spécifique dans certains domaines jugés prioritaires (ROSP). Pour les patients adultes par exemple, sur les 29 indicateurs ROSP, douze concernent la prévention (vaccination grippe, dépistage du cancer du sein, frottis, lutte contre l’antibiorésistance, etc.).
Les fédérations hospitalières sollicitées récemment sur le sujet sont, en outre, tout à fait favorables à l’intégration d’indicateurs prévention dans le modèle d’Incitation financière d’amélioration de la qualité (IFAQ) des établissements de santé.
Par ailleurs, la transformation du système de santé en cours propose d’adjoindre au paiement à l’acte davantage de rémunération forfaitaire permettant de mieux financer les actions de prévention dans les domaines plus « éducatifs » comme la réduction du tabagisme, de la consommation à risque d’alcool, la contraception, etc.
Au-delà de la question du financement, les évolutions récentes comme le développement de l’approche territoriale et la coordination pluriprofessionnelle offrent de bonnes conditions pour mettre en place des actions de prévention et de promotion de la santé.
Les inégalités à la prévention en santé sont encore fortes en France. Comment comptez-vous les réduire ?
En effet, si la France se situe dans le groupe des pays où l’espérance de vie est élevée, elle se caractérise par des inégalités particulièrement marquées et persistantes entre hommes et femmes, et entre groupes sociaux.
Ces inégalités se retrouvent dans l’accès aux services de santé, notamment en matière de prévention, mesurées par la mortalité prématurée et la mortalité évitable : ces deux indicateurs montrent des disparités entre les groupes sociaux et les territoires traduisant des variations d’exposition à des facteurs de risque en lien avec une surmortalité.
Ces inégalités territoriales et sociales se rencontrent de façon particulièrement marquée dans les outre-mer, et les particularités de ces territoires sont prises en compte dans la conception et la mise en œuvre des plans et programmes de prévention.
S’agissant du domaine de compétences de la DGS, nous avons priorisé notre action sur les déterminants de la santé selon une approche « santé dans toutes les politiques ».
Nous misons notamment sur une réduction des inégalités de santé par un programme ambitieux couvrant les mille premiers jours de vie jusqu’au « bien vieillir ». Une action intersectorielle est essentielle car, bien souvent, les inégalités de santé renvoient en amont à des inégalités sociales.
Propos recueillis par Anne-Sophie David