Par André Charbin, avocat associé, Capstan Avocats

Le statut d’auto-entrepreneur a été instauré par la loi n°2008-776 pour la modernisation de l’économie du 4 août 2008. Il permet de bénéficier du régime micro-social simplifié des cotisations et du régime fiscal propre à la micro-entreprise. Il s’adresse, depuis le 1er janvier 2009, à toute personne physique porteur d’un projet d'entreprise individuelle souhaitant créer son activité sans pour autant créer une société. Le recours à ce statut a rencontré très vite un réel succès. Ainsi, selon les chiffres publiés par l’ACOSS, fin décembre 2014, le réseau des Urssaf comptabilisait 982 000 auto-entrepreneurs, en progression de près de 9 % sur un an.

 

Le régime d'auto-entrepreneur fait pourtant l'objet de différentes critiques. Certains lui reprochent de déréguler le marché de l'emploi ou encore de concurrencer anormalement les artisans. On constate aussi parfois un véritable détournement du statut d’auto-entrepreneur par rapport à sa vocation initiale. Ainsi, certaines entreprises n’hésitent pas à inciter leurs salariés à recourir au statut d’auto-entrepreneur afin de profiter d’une main d’œuvre à coût social avantageux.

 

Un tel comportement n’est pas dénué de risques, bien au contraire, comme le démontre l’arrêt rendu par la Chambre Criminelle le 15 décembre 2015 (pourvoi n°14-85.638).

 

Les circonstances de l’affaire

La société Nord Picardie Santé, entreprise de prospection téléphonique, a recruté des salariés, lesquels ont ensuite poursuivi leurs activités professionnelles sous le statut d’auto-entrepreneur, en conservant exactement les mêmes fonctions assorties des mêmes modalités d’exécution du travail. La société et ses dirigeants sont condamnés par la Cour d’Appel d’Amiens pour délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.

 

La présomption d’absence de contrat de travail

La Cour de cassation approuve tout d’abord les magistrats de la Cour d’Appel d’avoir écarté la présomption d’absence de contrat de travail issue de l’article L 8221-6 I du code du travail. Selon cet article, sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de leur activité, les personnes physiques immatriculées et inscrites au RCS ou au répertoire des métiers.

 

Pour autant, il ne s’agit que d’une présomption simple et le II de l’article L 8221-6 précise que l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les prestations fournies à un donneur d’ordre le sont par des personnes dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

 

A ce titre, la Chambre Criminelle rappelle que l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties, ni de la qualification donnée, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité du travailleur. Ce faisant, la Cour rappelle le caractère d’ordre public de la notion de contrat de travail retenu par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation dans son arrêt du 4 mars 1983.  Or, dans la situation de l’espèce, les juges retiennent notamment que :

Les modalités d’exécution du travail accompli pour le compte de la société étaient largement imposées par celle-ci, notamment l’obligation de respecter l’utilisation du listing des clients potentiels à démarcher ainsi qu’une procédure commerciale précisément définie ; Qu’il était imposé aux auto-entrepreneurs de rendre très régulièrement compte du résultat des démarches téléphoniques effectuées ; Que la société établissait elle-même les factures pour le compte des auto-entrepreneurs ; Que les personnes d’abord recrutées comme salariés ont poursuivi leur activité sous le statut d’auto-entrepreneur en conservant les mêmes fonctions assorties des mêmes modalités d’exécution du travail ; Que les auto-entrepreneurs travaillaient exclusivement pour le compte de la société et dans le cadre d’un contrat type commun à tous.

 

Toutes les conditions pour renverser la présomption d‘absence de salariat étant remplies, la Cour en déduit fort logiquement que la relation entre les « auto-entrepreneurs » et la société devait être qualifiée de « contrat de travail ».

 

La reconnaissance de l’infraction pénale de travail dissimulé

La Cour de Cassation approuve dès lors la Cour d’Appel d’avoir déclaré coupables les prévenus des faits d’exécution d’un travail dissimulé.

 

L’article L 8221-6 prévoit en effet expressément que lorsque la relation avec le donneur d’ordre est requalifiée en contrat de travail, la dissimulation d’emploi est établie si le donneur d’ordre s’est soustrait intentionnellement par ce moyen à l’accomplissement des obligations incombant à l’employeur, c’est-à-dire, déclaration préalable d’embauche, délivrance d’un bulletin de paie, déclaration des salaires et paiement des charges sociales.

 

Il faut admettre que les circonstances de fait étaient particulièrement défavorables à l’entreprise, dans la mesure où les juges du fond avaient constaté :

Que la société avait incité les « auto-entrepreneurs » à abandonner leur statut de salarié ou à renoncer à postuler à un emploi salarié au profit du statut d’auto-entrepreneur ; Que la société ne dissimulait pas qu’il s’agissait d’économiser les charges sociales.

 

L’employeur avait donc ainsi volontairement détourné de son objet le statut d’auto-entrepreneur et le délit de travail dissimulé était donc constitué dans tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnels.

 

Les risques civils

Bien que cet aspect ne soit pas abordé par la Chambre Criminelle, il n’est pas inutile de rappeler que l’utilisation abusive du recours au statut d’auto-entrepreneur, génère, outre le risque pénal précité, des risques civils non négligeables. C’est ainsi que le donneur d’ordre est tenu au paiement des cotisations sociales à la charge des employeurs calculées sur les sommes versées aux pseudos auto-entrepreneurs au titre de la période pour laquelle la dissimulation d’emploi a été établie. C’est ainsi également que les salariés ainsi qualifiés suite à la rupture de leur « contrat de prestations » auront droit à l’indemnité forfaitaire spécifique égale à 6 mois de salaires. Enfin, les ennuis peuvent naturellement venir de la part des « pseudos indépendants » assistés le cas échéant des services de l’administration du travail, mais aussi de la part des Urssaf dont l’intérêt à requalifier en contrat de travail une relation qualifiée d’indépendante par les parties est évident.


Conclusion

Sur le plan juridique et en l’état de notre droit positif, la position de la Cour de cassation n’est pas critiquable. Pour autant, elle s’appuie sur une conception très classique du lien de subordination, conception de plus en plus malmenée par l’évolution de notre société et par les conditions possibles d’activité liées notamment aux nouvelles technologies. Ces évolutions rendent tous les jours plus artificielle la frontière entre travailleurs salariés et indépendants. Or, si l’enjeu fondamental a pendant longtemps été de déterminer qui pouvait ou pas bénéficier des règles protectrices du droit du travail et de la protection sociale, tel n’est plus nécessairement le cas aujourd’hui. Le rêve d’autonomie des jeunes générations confrontées à un chômage de masse et conscients de la perspective de nouvelles formes d’emplois, explique aussi le succès du statut d’auto-entrepreneur. On ne peut que regretter les excès de certains de nature à venir perturber un débat aussi essentiel qu’incontournable.

 

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