La numérisation en cours des laboratoires d’anatomie et cytologie pathologiques a profondément transformé les pratiques de la spécialité. L’arrivée d’algorithmes d’intelligence artificielle permet d’aller encore plus loin.
Expertise à distance facilitée, support pour l’enseignement, archivage d’analyses pour le suivi de patients… Le numérique ouvre une nouvelle ère pour les services d’anatomie et cytologie pathologiques dans les établissements de santé. L’analyse de prélèvements d’organes ou de tissus se fait désormais sur ordinateur à partir de lames numérisées, et non plus au microscope. "La pathologie numérique permet d’aller plus vite et de travailler de façon plus fluide", indique le professeur Nathalie Rioux-Leclercq, chef du service d’anatomie et cytologie pathologiques du CHU de Rennes, premier hôpital français à avoir mis en place cette technologie. La mue se poursuit avec l’intégration d’algorithmes d’intelligence artificielle.
Les promesses de l’IA
L’intelligence artificielle permet d’apporter une couche diagnostique supplémentaire aux pathologistes, en révélant ce que leurs yeux ne peuvent pas voir. Il existe trois types de logiciels d’IA. "Certains fournissent une aide au diagnostic, d’autres servent à prédire une mutation sur une lame ou à établir le nombre de cellules positives pour un biomarqueur", explique la spécialiste du CHU breton. Son service déploie actuellement un logiciel d’IA d’aide au diagnostic du cancer de prostate. Développé par la start-up israélienne Ibex Medical Analytics, il cible les zones qu’il considère comme pathologiques. Ce logiciel prometteur parfait son apprentissage automatique à partir des données des patients ayant donné leur accord. À ce stade, ses analyses nécessitent un contrôle systématique par un pathologiste. "La solution d’intelligence artificielle commet encore de petites erreurs en cerclant parfois des zones qui ne sont pas tumorales, indique le professeur Nathalie Rioux-Leclercq avant d’ajouter : Mais dans quelques années elle sera plus performante que les pathologistes." Une manière de rappeler qu’un débat anime toujours la communauté médicale sur la pleine confiance qui peut être accordée, ou pas, à l’IA dans le domaine médical.
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Une alliée de la médecine de précision
À l’AP-HP, le potentiel de l’IA est également convoqué au chevet de la pathologie numérique. "Juste avant la crise du Covid-19, la start-up Owkin a sollicité les services d’anatomie et cytologie pathologiques de l’AP-HP Sorbonne Université pour mettre au point un algorithme de détection du biomarqueur de l’instabilité microsatellitaire, à partir de lames numérisées", raconte le professeur Magali Svrcek, anatomopathologiste et chercheuse au sein du Centre hospitalier de Saint-Antoine, pionnier dans le domaine du diagnostic de cette anomalie moléculaire observée dans le syndrome de Lynch. Ce syndrome représente l’une des prédispositions aux cancers les plus fréquentes chez l’homme (3 % de tous les malades atteints de cancer colorectal). Avec l’arrivée de l’immunothérapie qui a révolutionné la prise en charge de ces malades, le screening systématique de tous les cancers colorectaux pour détecter le statut MSI fait désormais partie des recommandations de l’Institut national du cancer. Mais, la réalisation systématique de ces tests dans un cancer dont l’incidence dépasse les 45 000 nouveaux cas par an en France alourdit la charge de travail quotidienne des pathologistes. L’IA doit contribuer à alléger cette charge et optimiser le flux de travail. "Ce nouvel outil aidera à réduire de 40 % les tests faits de manière systématique", indique le professeur Magali Svrcek. Un rendu plus rapide des résultats facilitera également la mise en place précoce de traitements adaptés aux patients. Un progrès de taille à l’ère de la médecine de précision.
Pierre Derrouch