Le laboratoire américain Bristol-Myers Squibb (BMS) a cassé sa tirelire en janvier 2019 pour s’offrir la biotech Celgene, détentrice de traitements prometteurs contre certains cancers. Un mégadeal à 74 milliards de dollars scruté de près par les autorités américaines de la concurrence.

Pionnier de l’immunothérapie appliquée au cancer, l’américain Bristol-Myers Squibb signe la plus grosse opération de M&A jamais conclue dans le secteur pharmaceutique. En janvier dernier, il acquiert Celgene, un fleuron des biotechnologies aux États-Unis, pour 74 milliards de dollars. « En 2050, 80% des médicaments viendront des biotech », rappelle Maryvonne Hiance, l’ex-présidente de l’association France Biotech. Un investissement stratégique.

Un marché ultradynamique

De ce rachat naît un mastodonte des traitements contre le cancer. « La transaction va créer une société spécialisée dans la biopharmacie de pointe pour répondre aux besoins des patients atteints de cancers, de maladies inflammatoires et auto-immunes ou cardiovasculaires grâce à des médicaments innovants », se félicite BMS.


"La plupart  des laboratoires de biotech sont condamnés  à se faire  racheter par des grands"


En 2018, c’est Celgene qui s’offrait, pour 9 milliards de dollars, son concurrent Juno Thérapeutics, un spécialiste du traitement des leucémies. Des acquisitions qui vont dans le sens de l’histoire, selon Rafi Mardachti, le PDG d’Universal Médica Group, société de conseil dans l’industrie pharmaceutique, pour qui « la plupart des laboratoires biotech sont condamnés à se faire racheter par des grands ».

Une fusion sous haute surveillance

Scruté par les autorités américaines de la concurrence en raison des montants en jeu, BMS a dû annoncer en juin qu’il céderait l’Otezla, le traitement de Celgene contre le psoriasis, entraînant un report dans la finalisation de la fusion. En effet, cette nouvelle cession de brevet doit aussi être examinée par la Federal Trade Commission (FTC). Une affaire dans l’affaire qui n’a pas manqué d’étonner bon nombre d’analystes tels que Michael Yee chez Jefferies, banque d’investissement américaine, qui y voit « le signe d'une plus grande intransigeance de la part de l'autorité américaine de la concurrence ». Intransigeance ? Ou contrôle accru devant l’enjeu ? En 2018, l’Otezla générait un chiffre d’affaires de 1,61 milliard de dollars. Prévue initialement pour le troisième trimestre 2019, cette transaction devrait donc être bouclée d’ici la fin de cette année, voire début 2020. Un report, qui, sans surprise, a fait réagir Wall Street enregistrant un recul de 4,2 % pour le titre de BMS et de 3,2 % pour celui de Celgene.

Déjà 8 médicaments « blockbusters »

Si BMS a pu se permettre une telle acquisition, c’est aussi parce que la biotech fondée en 1986  connaît depuis plus d’un an un parcours difficile. Avec un pic à plus de 145 dollars début 2017, son cours a décroché de 30% en un mois après l’échec, en dernière phase d’essais cliniques, de son médicament contre la maladie de Crohn, le GED-0301, dont Celgene avait acquis les droits auprès de Nogra Pharma pour plus de 700 millions de dollars. Un coup dur suivi d’un autre avec la remise en cause des brevets de sa molécule lénalidomide, dont le produit, vendu comme un anticancereux sous la marque Revlimid, est un dérivé du thalidomide. Certains génériqueurs contestent en justice sa propriété intellectuelle.


La société née de la fusion comptera huit médicaments « blockbusters » (générant chacun plus d’un milliard de dollars de revenus annuels)

Ce contexte judiciaire n’a pas effrayé BMS. La société née de la fusion comptera huit médicaments « blockbusters » (générant chacun plus d’un milliard de dollars de revenus annuels) dans l’oncologie, les maladies inflammatoires et cardiovasculaires, ainsi que six médicaments qui pourraient dégager 15 milliards de dollars supplémentaires. À moins que la déveine de Celgene ne contamine le business model de ce nouveau leader de l’industrie pharmaceutique.

Anne-Sophie David